vendredi 19 mai 2017

Odyssée Russe



Kilomètre 9100 de notre périple : les hommes sont fatigués et les machines aussi (surtout celle de Didier). La mienne vient de retrouver une nouvelle jeunesse, remettant son compteur à 5 chiffres à zéro en passant la barre des 100 000 kms. Pas mal pour une vénérable machine de 30 ans dans son jus.
Après la traversée du Caucase par la route militaire, des images encore plein les yeux, le transit par la Russie pour rejoindre l’Ukraine devait être une simple formalité. Il n’en a rien été.

D’abord ces routes aux interminables lignes droites dans les plaines céréalières avec pour seule distraction l’iconographie soviétique du vaillant peuple Russe, nombreux mausolées en béton peint, parfaitement entretenus, magnifiant les soldats vainqueurs de l’envahisseur nazi, ainsi que paysans et travailleurs ayant permis à la Russie socialiste de se reconstruire.
Heureusement qu’il y eut le plantureux déjeuner chez Malina pour égayer la journée, dans sa petite gargotte jouxtant le bordel pour routiers en mal « d’amour » le long de la nationale.
Et ses petits bourgs poussiéreux que l’on traverse presque sans y faire attention. Parfois une jolie église orthodoxe égaille le paysage de ses coupoles dorées où turquoises comme des bijoux précieux. Les kilomètres s’égrènent doucement sous les averses, et pour ne rien arranger dans la froidure.

Nous rejoignons l’autre côté de la Mer Noire, et longeons sa rive nord au-dessus de la Crimée jusqu’au petit poste frontière avec l’Ukraine. Comme un fait exprès, à notre arrivée un violant orage éclate. A moto, impossible dans ces conditions de sortir les documents sous la pluie diluvienne devant la guérite de l’agent chargé du premier contrôle visiblement surpris de nous voir arriver là. L’orage passe. Nous nous représentons. Il nous demande notre laissez-passer. Pas sûr d’avoir bien compris nous présentons les passeports et le formulaire d’entrée en Russie. Mais il insiste : un laissez-passer. Un deuxième agent le rejoint, puis une jeune femme baragouinant l’anglais aidée de Google traduction ; tous sur la même longueur d’onde à nous expliquer que nous sommes en zone de guerre. Nous jouons les veuves effarouchées, expliquant qu’en tant que français cela ne nous concerne en rien, que l’Ukraine est en zone Schenguen, et que donc rien ne nous empêche quitter la Russie par ce poste. Inutile d’insister davantage. Nous ne passerons pas et devons faire un détour de 700 km pour entrer par Belgorod au nord de l’Ukraine.
Déçus mais sans autre choix nous rebroussons chemin et reprenons la route. Au-dessus de nos têtes passent des hélicoptères de combat tandis que sur la route descend un convoi de porte-chars. La Crimée n’est pas loin et la zone visiblement pas complètement apaisée.

Le soleil se couche et il est temps de s’arrêter. Toujours des problèmes électriques sur la moto de Didier ne permettant pas d’utiliser les phares.
Au hasard nous entrons dans un village un peu retiré de la route principale. A peine arrêtés pour faire le point qu’un policier vient nous « renseigner ». Cela tombe à pic car nous cherchons un hôtel. Ni une ni deux, nous voilà en convoi jusqu’à un grand et vieux bâtiment, sans plus d’indication, au milieu du bourg.
Véritable fossile de l’ère Soviétique, tout y est : les affiches de propagandes, le comptoir en bois, l’hygiaphone, le vieux salon en velours, les tapis poussiéreux, portes déglinguées et bien sûr l’escalier en ciment. Nous devons être quasiment  les seuls clients.
A l’accueil une jeune femme très zélée se donnant un air sévère. Et la voilà partie dans un délire paranoïaque, copiant toutes les pages de mon passeport de grand voyageur sous l’œil vigilant de nos deux amis policiers expliquant qu’il y a beaucoup de contrôle en zone de guerre. Décidément, ils sont à fond. Pendant ce temps nous étudions la carte pour éviter toute mauvaise surprise sur la route de Belgorod. Nos anges gardiens passent des coups de fils à on ne sait qui pour confirmer l’option choisie. A vrai dire, rien d’autre à faire que d’en sourire sans se moquer. Ce n’est pourtant l’envie qui nous manque tant la situation est caricaturale. Mais bon, nous ne sommes pas chez nous. Et quand bien même…
Dans son genre la chambre de l’hôtel vaut aussi détour : lino marron imitation parquet, tapisserie à fleurs entièrement d’origine, poignées de porte façon cristal et coulures de peinture sur les carreaux. La salle de bain avec évacuation de la douche sous le lavabo. Bref, du 100% CCCP dans son état d’origine.
Le lendemain, après 400 kilomètres de liaison dans l’arrière-pays, et une panne d’essence (je vous laisse deviner qui de nous à la plus gros… réservoir… Si si, c’est bien celui-là qui est tombé en panne – heureusement qu’il y avait la demi-réserve) nous nous présentons aux douanes de Belgorod. Accueil chaleureux et formalités rapidement expédiées. Nous sommes loin des troubles de la Crimée.
Bye bye Russie, welcome in Ukraine.

Avec une journée perdue dans ces conjectures, il va maintenant me falloir tracer la route tout seul pour ne pas manquer mon avion de Dimanche en Roumanie. Dommage, nous n’aurons pas le temps de passer à Tchernobyl.




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