mercredi 17 mai 2017

La fameuse route transcaucasienne

Reprenant la moto ce matin, je repense à Bakou et son côté cosmopolite qui, au-delà de la cité elle-même en fait aussi tout le charme. Sans avoir vraiment pu échanger avec les gens, barrière de la langue mais aussi faute de temps – je rêve de pouvoir un jour voyager sans devoir compter les jours – la diversité des origines et des cultures saute aux yeux : des Azeris bien sûr, des Arméniens, des Russes, des Chinois aussi, hommes et femmes de toutes générations et de toutes confessions. Ici la plupart des femmes musulmanes sont libérées des attributs islamiques radicaux, donnant l’élan de modernité nécessaire à cette religion pour rayonner positivement comme elle le devrait.
Nous avons donc quitté Bakou avec regret, un peu frustrés de n’avoir pu mieux la connaitre, mais comblés par le simple fait de s’y être arrêté.
Poursuivant notre pérégrination nous voilà de retour en Géorgie en direction de la route militaire transcaucasienne, aujourd’hui la seule autorisée, tant pour des raisons géographiques que politiques.
A l’Est la Tchétchénie, au Nord et Sud l’Ossétie, et tout autour la pluralité ethnique du Caucase sous l’influence de la Grande Russie…
La météo est au beau fixe. Les routes secondaires où nous roulons sont bordées de part et d’autre de chemins bucoliques enherbés entre une double rangée de feuillus ressemblant à des noyers.  On y croise de grands troupeaux de moutons en transhumance sous le regard vigilant des bergers et des chiens.
Puis nous empruntons les routes de traverse pour contourner Tbilissi pas le nord, en réalité un labyrinthe de routins reliant les villages où il est difficile de se repérer avec certitude. Alors on avance le nez au vent en tentant de garder la bonne direction générale jusqu’à perdre l’asphalte pour suivre des chemins muletiers, terrain de jeu idéal de nos Africatwin. Et comme prévu, à la mi-journée nous débouchons sur la fameuse route.
S’enfonçant d’abord dans une large vallée, elle offre le spectaculaire panorama du Haut Causasse et ses sommets enneigés à plus de 5000 m. Au creux de la vallée, le lit de galets d’un puissant torrent, millions de tonnes de roche arrachés à la montagne.
Puis la route en assez mauvais état commence à s’élever franchement avec ses virages en épingle donnant sur de vertigineux à-pics. Nous montons encore. Quelques camions à la peine crachent leur fumée noire comme de locomotives. Beaucoup viennent d’Arménie, croisant les Russes et les Georgiens qui redescendent. Un Iranien également.
Vers 2000 m le paysage devient grandiose, spectaculaire vue panoramique sur les sommets immaculés.
On continue de grimper prudemment en profitant de chaque seconde et de chaque mètre de cette route légende. Par certain aspect elle fait penser à la vielle route du Tiz-in-test sur les pentes du mont Toubkal dans l’Atlas. Sauf qu’ici les camions sont des 35t internationaux se croisant au millimètre sur un étroit routin, alors que là-bas ce ne sont que les petits fourgons du coin.
Au-dessus de 2000 m ma vénérable moto de 1988 s’essouffle un peu. Mais elle grimpe toujours.
2300 m, dernière boucle avant le sommet : nous débouchons sous l’écrasant paysage des géants enneigés perchés plus de 2000 m au-dessus de nous. Les sommets coiffés de jolis cumulus bourgeonnant ajoutent au paysage la touche presque divine des grands peintres.
Installé ici, un grand belvédère de béton du plus pur style soviétique orné de chatoyantes mosaïques allégoriques sur presque 360°. Impossible de ne pas s’y arrêter faire la photo et profiter du paysage et de l’instant.
Puis s’amorce la descente vers la Russie sur le versant nord du col. Prudence étant mère de toutes les suretés, on se laisse couler sur l’étroit ruban rapiécé de mille et une rustines. Il faut avoir un gros cœur pour s’y engager avec un camion. Des dizaines d’étroits tunnels, maintenant condamnés comme des trous à rat s’enfonçent dans la montagne, aujourd’hui shuntés par des petits bouts de route exposés aux éboulis.
Et voilà que la pluie s’en mêle au moment où nous arrivons sur le poste Georgien franchis en 2 temps 3 mouvements. Puis un étonnant long no-man’s land de plusieurs kilomètres pour rejoindre la douane Russe sous les trombes d’eau.
Comme prévu rien n’est simple. Je subis une interview en règle dans un « cabinet » privé : 3 agents visiblement intrigués par mon passeport chargé. Pendant ce temps mes camarades patientent assis sur un banc devant la barrière.
Question importante avant de me libérer concernant la suite de notre parcours. J’explique la suite vers l’Ukraine. Instant de gène de mes interlocuteurs, puis la question que j’attendais :
-       Par où pensez-vous passer ?
-       Nous éviterons la Crimée évidemment.
Et pour être parfaitement certain que nous nous sommes bien compris, on me montre l’option « recommandée » pour éviter les ennuis.
-       Car vous savez que nous sommes en guerre.
Le mot me semble fort. Je confirme avoir bien reçu le message. On me libère. Encore un coup de tampon à la derrière guérite du poste de douane et nous franchissons la barrière de nuits sous une pluie toujours battante.
Bienvenu en Russie !

(Au moment de poster cette chronique, au terme d’une journée ubuesque, nous sommes bloqués par les autorités Russes pour entrer en Ukraine… J’essaierai de vous raconter cela demain si j’en trouve le temps, car la logistique de retour devient plus que tendue.)


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